Il refuse la condition de sa libération : renoncer à ses droits sur l’archevêché : « Je refusai donc les propositions de M. Servient qui étaient que le Roi me donnerait la surintendance de ses affaires en Italie, avec cinquante mille écus de pension, que l’on paierait jusques à la somme de cent mille écus de mes dettes ; que l’on me délivrerait comptant celle de cinquante mille pour mon ameublement ; et que je demeure trois ans à Rome, après lesquels il me serait loisible de revenir faire à Paris mes fonctions. Je ne rebutai pourtant pas M. Servient de but en blanc ; j’en usai toujours honnêtement avec lui. »1.[1] Il réussit à hériter le cardinalat, alors qu’il est en prison, quand Jean-François de Gondi meurt peu après. Mazarin lui demande alors de démissionner, ce qu’il accepte pour être libéré : « Il2 me l’3 envoya, accompagné de MM. De Brienne et Le Tellier, pour me proposer et ma liberté et de grands avantages, en cas que je voulusse donner ma démission de la coadjutorerie de Paris. Comme j’avais été averti par mes amis de cette démarche, je la reçus avec un discours très étudié et très ecclésiastique, qui fit même honte au pauvre monsignor Bagni, et qui lui attira ensuite une fort rude réprimande de Rome. »4. Retz quitte alors Vincennes pour la Bretagne le 30 mars 1654. A Nantes, il dispose d’un appartement dans le château, est autorisé à se promener sur le rempart et à recevoir des visites. Mais le souverain pontife Innocent X refuse d’entériner sa démission pour affirmer son autorité par rapport au Roi. Mazarin, persuadé que la mauvaise volonté du pape ne s’explique que par les intrigues ourdies à Rome par les agents du prisonnier, envisage de transférer celui-ci à Brest ou à Brouage. Retz est ainsi contraint à l’évasion. A noter qu’il n’évoque pas ce passage, il mentionne juste le retour de son exil, c’est une ellipse : « Comme je fus revenu de mon exil, la reine, mère du Roi, me pressa un jour extrêmement, à Fontainebleau de lui en conter le détail, sur la parole qu’elle me donnait, avec serment, de ne jamais nommer aucun de ceux qui y avaient eu part ; »5.
La Grande Mademoiselle évoque ainsi l’arrestation de Retz : « Le 19 décembre 1652 le cardinal de Retz est arrêté au moment où il sort de chez la Reine ».
La Grande Mademoiselle nous relate cet événement, (pages 232 et 233), qui a lieu malgré les objections de Villequier, chargé de l’arrêter: « M. le cardinal de Retz salua le roi et la reine, et se croyait le mieux du monde à la cour, lorsqu’un beau matin qu’il venait faire sa cour, Villequier, capitaine des gardes du corps, l’arrêta et le mena, par la galerie du Louvre, monter en carrosse au pavillon, et de là au bois de Vincennes. Depuis que l’on avait pris ce dessein on avait été quelques jours sans l’exécuter, parce qu’il ne venait guère au Louvre. Car quand l’on y entre, l’on n’échappe guère, et rien de si véritable qu’un vers de Nicomède6, une tragédie de Corneille, qui fut mise au jour aussitôt après la liberté de M. le Prince, où il y a : « Quiconque entre au palais porte sa tête au roi ». Comme la reine envoya quérir Villequier pour lui donner l’ordre, il n’y avait avec elle que le roi et M. Le Tellier, à ce que je lui ai ouï conter depuis. Villequier lui dit : « Mais, Madame, c’est un homme qui a toujours quantité de braves avec lui ; s’il se met en défense, que ferai-je ? Le prendrai-je mort ou vif ? » Tout le monde se regarda. Il répliqua : « Enfin, Madame, que le roi me donne un mot de sa main de ce j’ai à faire. » Le roi écrivit qu’il ordonnait de prendre le cardinal de Retz de quelque manière que ce fût. »
En revanche La Grande Mademoiselle ne parle point de l’évasion de Retz le 8 août 1654 et de son retrait à Rome : « Je n’ai point parlé de la liberté du cardinal de Retz parce que c’est un homme à qui il est arrivé tant d’aventures, que je ne doute pas que l’on n’écrive sa vie, s’il ne l’écrit lui-même. » Elle donne à Retz la responsabilité d’écrire lui-même son histoire mais, on l’a vu, lui-même n’évoque pas cet épisode.
C’est sur un échec que se termine la vie publique de Retz, qui ne pourra sortir de la clandestinité qu’en renonçant à son archevêché.
Retz, abandonné par le nouveau Pape, Alexandre VII, soucieux de ne pas aggraver ses relations, déjà mauvaises avec le Roi de France, quitte donc Rome au mois de juillet 1656. Il disparaît dans une ombre dont il ne sortira que pour négocier son accommodement7 à la fin de 1661. Il entend alors prendre un nouveau départ, loin de faire une rentrée honteuse et clandestine.
Mais comment Louis XIV appréciera- t-il la tentative de Retz de faire amende honorable ? Sur les relations de Retz et du Roi, on a beaucoup écrit. Il y a des interprétations divergentes. Soit le souverain a pardonné, et c’est peu probable, et honore le Cardinal de sa confiance, soit il n’a pas oublié, c’est plus probable, que le cardinal a mené une fronde contre lui et l’utilise lorsque la nécessité l’y incite, notamment en l’envoyant à Rome, en avril 1665 pour régler des problèmes avec le Pape.
L’attitude de Louis XIV à l’égard de Retz est plus politique que passionnelle. S’attacher des serviteurs par un dosage calculé de contrainte et d’intérêt, telle fut la politique de Louis XIV à son égard, comme à celui de tant d’autres. Ni mépris ni haine, comme chez Mazarin, mais un sens aigu de l’Autorité Royale. Retz, lui, s’est mis dès son retour à la disposition du souverain, et il jouera le jeu honnêtement jusqu’au bout. La soumission presque servile de certaines de ses lettres met le lecteur d’aujourd’hui mal à l’aise. Il ne faut voir là ni bassesse, ni affectation, c’était la règle à l’époque. Il met alors au service du Roi la finesse, la diplomatie et l’énergie dont il avait usé jadis contre la Régence. Mais le Roi ? Dans quelle mesure a-t-il choisi, lui, de l’utiliser ? Il est difficile de le savoir. En fait Retz, quoi qu’en dise Lionne, ne sera jamais tout à fait rétabli « dans l’esprit » du Roi.
Parlons maintenant de sa semi retraite qui commence le 30 mai 1675, quand Retz écrit au pape pour renoncer à sa dignité de cardinal. Retz qui se définit lui-même comme l’âme la moins ecclésiastique au monde aurait, en se retirant à l’abbaye de Saint-Mihiel, vers mi-juin 1675, cherché à la faire passer pour une conversion, entretenant par là une confusion pour accroître son prestige auprès de l’opinion. Cependant, il n’est pas impossible non plus qu’ait pesé aussi, sur sa décision, le désir de suivre l’exemple fourni par son père, qui s’était retiré à l’Oratoire après son veuvage. La retraite est souvent calculée, ce qui pourrait aussi nous aider à la comprendre ; peut-être Retz se retire-t-il avant que la cour ne s’éloigne de lui, pour garder de soi une image honorable, pour pouvoir se regarder sans perdre le respect de soi.
En tout cas, le sort et le Pape vont le sortir de sa retraite, alors simple accident de parcours, très rapidement. En écrivant ses Mémoires il fera un long examen de conscience au cours duquel il refuse de se renier. On peut penser que cette retraite ne fut qu’à demi réussie et on ne peut se défendre de penser qu’il n’en fut pas si mécontent. La complaisance avec laquelle Louis XIV souscrivait à la démission de Retz ne pouvait qu’encourager Clément X, successeur d’Alexandre VII, à refuser la démission du cardinal, ce qu’il fit de façon rapide et catégorique, pour prévenir tout malentendu, dès le 22 juin 1675.
D’après André Bertière8, qui se fonde notamment sur des indices textuels, Retz a rédigé entre 1675 et 1677, s’arrêtant deux ans avant sa mort à 66 ans en 1679 parce que sa vue avait beaucoup baissé.[4]
Que représente Retz? Il représente la Noblesse et l’Eglise et tire ainsi une partie de sa légitimité de Dieu, l’autre venant du fait qu’il est noble. C’est ce qu’on peut relever quand peu après être devenu coadjuteur, il critique Richelieu en affirmant qu’il avait donné une atteinte cruelle à la dignité et à la liberté du clergé dans l’assemblée de Mantes. En effet l’assemblée du clergé tenue à Mantes s’était révoltée en 1641 contre les exigences financières de Richelieu qui avait renvoyé dans leurs diocèses deux archevêques et quatre évêques. Le coadjuteur défend des membres du clergé auquel il appartient.
Comme la Grande Mademoiselle, il a une haute idée de lui-même. Il est conscient de sa valeur, de son intelligence, de son ambition, mais c’est un homme marqué par des déceptions, des échecs. Il a de l’orgueil, se sait supérieur à Mazarin et entend en donner les preuves. Il a conscience d’être un homme politique, de pouvoir agir. Il s’imagine à la place de Mazarin auprès de la Régente. S’il avait été le père spirituel de Louis XIV, il aurait pu « influencer » (comme Mazarin) le Roi. Coadjuteur, homme d’église, il s’est rendu compte, il « sait » qu’il peut-être proche du « peuple », des humbles, qu’il sait les toucher, leur parler, qu’il a de l’influence sur le peuple. On peut le constater notamment lors de la Fronde quand le peuple crie : « Vive le coadjuteur ».
Parlementaire, il fait partie de la « compagnie ». Il défend Broussel, juge la conduite de la Régente et de Mazarin.
Homme politique s’estimant lucide, compte tenu de sa culture et de son expérience, il critique Richelieu qui accélère le processus de renforcement du pouvoir absolu aux dépens de la noblesse, puis Mazarin qui fait de même sous la Régence puis sous Louis XIV. Il écrit que Richelieu « avait conçu deux desseins » : « celui d’abattre le parti de la religion avait été projeté par M. le cardinal de Rais, mon oncle ; celui d’attaquer la formidable région d’Autriche n’avait été imaginé de personne. Il a consommé le premier ; et à sa mort, il avait bien avancé le second. »9. Si le premier objectif, la suppression de la religion protestante, a été atteint, aussi grâce à son oncle, il prétend que le second, l’invasion de la région d’Autriche est nouveau alors que cette lutte est inscrite dans une tradition politique. En effet elle a commencé dès le XVIème sous François Ier et Henri II. Interrompue en 1559, elle allait ensuite être reprise par Henri IV.
On peut aussi remarquer que Retz a un caractère bien trempé puisqu’il refuse de devenir le domestique de Richelieu, d’en passer par ses volontés, ce qui entraîne pourtant sa disgrâce : « Voilà la source de ma première disgrâce ; car au lieu de répondre à ses avances et aux instances que Monsieur le Grand Maître me fit pour m’obliger à lui aller faire ma cour, je ne les payais toutes que de très méchantes excuses. Je fis le malade, j’allais à la campagne ; enfin j’en fis assez pour laisser voir que je ne voulais point m’attacher à M. le cardinal de Richelieu, qui était un grand homme, mais qui avait au souverain degré le faible de ne point mépriser les petites choses. ». Il en profite aussi, on le voit, pour critiquer Richelieu qui accorde, selon lui, trop d’importance aux petites choses.
Retz est un noble, un Cardinal, un mémorialiste écrivain et historien c’est aussi un homme politique. [5]
Pour ce qui est de La Grande Mademoiselle, c’est une femme qui, au contraire de la plupart des femmes, a joué un rôle politique. La Grande Mademoiselle commence à rédiger ses Mémoires après les troubles de la Fronde nobiliaire alors qu’elle est en exil à Saint Fargeau. Elle fait part de cet exil, alors que Retz, lui, en retraite au couvent de Saint Mihiel, ne le mentionne pas. Ainsi, les mémorialistes écrivent la plupart du temps, alors qu’ils sont en rupture de la société, en exil. Elle fait partie de la famille royale, elle est la cousine du Roi, fille de Monsieur, frère du roi, duc d’Orléans (Gaston), ce qui lui permet de nous décrire de très près ce qui se passe à la cour -sauf quand elle est en exil-. Elle est riche par l’héritage de sa mère.
1. (P852, P 853) Mémoires du cardinal de Retz édition de Michel Pernot.
2. Mazarin
3. Monsignor Bagni, nonce en France, homme de bien, d’une naissance très relevée mais qualifié de « dupe » par le cardinal de Retz.
6. Nicomède est une tragédie en vers de Corneille. Le vers qui en est extrait est un alexandrin.
7. Au nom du bien public les grands se soulevaient contre le pouvoir
royal et l’accommodement leur permettait d’obtenir de cette rébellion des avantages : dignités, charges.