Compte rendu du séminaire d’histoire moderne : la
violence dans la France du XVIème siècle.
I. Capitale du crime ou ville civilisatrice? Violence, ordinaire et régulation des conflits dans le Paris de la Renaissance.
Intervenante : Diane Roussel (Université de Reims, Champagne Ardennes, CERHIC (Centre d’Études et de Recherche en Histoire Culturelle)), spécialiste de sociabilité et d’affaires de justice. Elle a publié une thèse en 2008 : violence, justice et société à Paris au 16éme.
Pierre de l’Estoile (chroniqueur parisien) dépeint en 1605 la situation à Paris. Il décrit une prolifération du crime dans la capitale. Les historiens ont souvent cédé à ce fantasme. La capitale est elle aussi dangereuse? A quel niveau de violence se situe-t-elle ?
Claude Gauvard dont la thèse est « De grace especial ». Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge a répondu dans son livre : Violence et ordre public au Moyen Âge.
Elle y révèle notamment les difficultés que peut entrainer la documentation et son interprétation : « il faut bien prendre garde à ne pas confondre la criminalité réelle et les préoccupations d’un milieu, comme le révèlent par exemple les archives du Parlement de Paris ».
Pour répondre à cette question on peut étudier aussi 2 ensembles de décisions de justice.
1. Les lettres de rémission
2. Les informations criminelles de la justice seigneuriale.
Ces décisions de justice représentent deux visions différentes. Il s’agit pour la première de crimes de sang commis par des nobles et pardonnés et pour la seconde, d’un ordinaire : les affaires de faible gravité. Quel est poids de Paris dans les lettres de rémission? Il est 2,4% par rapport à l’ensemble des rémissions. On peut aussi noter que l’Artois compte deux fois plus de lettres que Paris. Pourquoi ?
Paris est un territoire contrôlé. Or les lettres de rémissions sont d’abord un acte qui légitime le pouvoir royal, donc peu utilisé à Paris.
De plus, les mobiles des crimes font figure de justification pour les coupables : la défense d’un honneur, outragé par une insulte ou par un geste, est acceptée comme excuse. C’est ce que montrent les travaux d’Isabelle Paresys dans sa thèse Pardonner et punir. Justice criminelle et construction de l'obéissance en Picardie et en Île-de-France sous François Ier, publiée en partie sous le titre : Aux Marges du royaume. Violence, justice et société en Picardie sous François Ier, Paris, Publications de la Sorbonne, 1998.
C’est également ce qu’écrit Hélène Merlin, même si elle note que cette tolérance est terminée au XVIIème siècle, dans l’article du numéro 2 des « Annales. Histoire, sciences sociales » de 1994 : Langue et souveraineté en France au XVIIe siècle. La production autonome d’un corps de langage: « Le bon mot par exemple vise le plus souvent à humilier une personne et faire rire une autre une position hiérarchique supérieure. Même les équivoques les moins intentionnelles font qu’une phrase peut être mal interprétée par un interlocuteur qui risque ainsi de s’offusquer. Or au XVIIème siècle le droit ne protège pas contre les atteintes de la langue – calomnie injures diffamation insulte parjures – alors que la parole est lourde de conséquences sociales. Le duel qui pour les membres de l’aristocratie « réparait » les blessures d’honneur est par ailleurs interdit car le pouvoir absolu s’efforce de détenir ce qu’on appelle le monopole de la violence légitime. »
Le roi peut punir mais aussi gracier, il définit le juste et l’injuste. Les lettres de rémission sont aussi un moyen de légitimation du pouvoir royal. Pour cette raison, Isabelle Paresys réfléchit d’abord à l'influence de la proximité de la frontière sur les décisions du roi et des comportements de ses justiciables et notamment des justiciables picards. Selon elle, leur attitude est aussi acceptée par le roi car ils témoignent d’un sentiment national et sont prêts à mourir pour le roi.
Ainsi, la capitale ne semble pas particulièrement criminogène.
Quel sont les piliers qui permettent de contrôler la société?
Le premier pilier : une police et justice, moins répressive plus conciliatrice. Une activité policière, peu présente mais suffisante car la police compose avec la surveillance mutuelle des habitants.
Le second pilier : une communauté qui exerce une étroite surveillance des comportements de
chacun.
Lorsque la justice va jusqu’au bout (il y a beaucoup d’accommodements privés) c’est l’amende qui est privilégiée pour ne pas briser tissu social. Il y a en revanche exclusion des
indésirables.
Lorsque ce système ne suffit plus, l’action judiciaire peut intervenir, cependant la moitié des procédures est abandonnée au témoignage (qui est seulement seconde étape de la procédure) et se règle devant le notaire. Les changements migratoires qui perturbent cet équilibre entrainent des constructions d’institutions de sûreté (prisons, hospices fermés…).
Ce système d’abord officiel deviendra ensuite officieux et sera concurrencé par les institutions monarchiques qui deviennent de plus en plus fortes à partir du XVIIème. Cette partie du séminaire apporte un regard neuf, car on y voit un autre avis que ceux des chroniqueurs mondains, comme Pierre de L’Estoile, à qui, selon Diane Roussel, les historiens ont trop fait aveuglément confiance.
II. Violence et pacification dans la France des guerres de religions.
De Jérémie Foa, Université de Provence, UMR TELEMME. Il a fait sa thèse en 2008 sur : Le Tour de la paix. Mission et commissions d'application des édits de pacification sous le règne de Charles IX (1560-1574).
Quelle est l’importance de la paix et de la pacification dans ces guerres ?
Pour répondre a ces questions on peut utiliser les textes des édits de pacification (notamment sous Charles IX), des délibérations consulaires, ou des ouvrages et mémoires des années 1560-1570 sur les questions de politique royale en matière de rétablissement de la paix civile et religieuse.
Des périodes de paix plus ou moins longues sont entrecoupées par des guerres. Les guerres sont
interrompues par des édits de pacification (1er en
janvier 1562, dernier Edit de Nantes 1568).
Que disent-ils ? Ils laissent une liberté relative de religion.
Comment continuer à faire la guerre en période de paix?
Contexte : un roi mineur et une régente : Catherine de Médicis qui en plus d’être une femme est italienne soit deux travers à cette époque.
Le Rôle des commissaires royaux. Ce sont des conciliateurs, ils sont détestés par les parlements (car ils les privent de ses prérogatives).
Leurs taches principales sont d’écouter et de recevoir les assemblées générales, de trancher les conflits, de réintégrer les exilés, de punir les coupables, de centraliser et confisquer les armes, et enfin de partager les consulats en deux.
Ils sont mis en place par Charles IX pour appliquer la législation pacificatrice des édits. La paix est organisée par les commissaires et par des dispositifs. Ils réunissent les protestants et les catholiques. Ainsi, ils privilégient la réconciliation sur l’application scrupuleuse de la loi. C’est ce que démontre un article d’Hubert Carrier dans Le Règlement des conflits au Moyen Âge : « Une justice pour rétablir la « concorde » : la justice de composition dans la Savoie de la fin du Moyen Âge (fin XIIIe-début XVIe siècle) ».
Les commissaires vont essayer de pallier le nomadisme en laissant des institutions pérennes. Les commissaires royaux sont mandatés par le roi, doivent faire exécuter ses décisions, en un moment donné, et en un point précis du territoire. Ils incarnent une politique d’adaptation du pouvoir.
Michel Foucault décrit la poursuite de la guerre de religion par d’autres moyens : juridique, politique et spatial dans Surveiller et Punir, naissance de la prison.
On assiste à une canalisation de la violence, il y a peu de recours à la violence physique, on recherche la victoire symbolique : l’humiliation de l’adversaire. La violence prend la forme d’un harcèlement judiciaire.
Pour éviter le retour des exilés, en général des protestants, les catholiques font appel à des avocats qui exploitent des failles de la loi en interprétant la parole du roi. On peut d’ailleurs voir que le protestants ont aussi des requêtes dans la lettre des commissaires Estienne Lallement de Voulzay et Charles de Chantecler au gouverneur de Bretagne Jean d’Etampes. Ces commissaires parurent d’accord avec leur requête mais finalement elles ne furent pas retenues soit à la demande du gouverneur, soit à celle du roi car les catholiques faisaient aussi appel au roi qui tranchait en dernier recours. On peut le voir par une supplique des habitants catholiques de Rennes au roi découverte dans les archives communales de Rennes. Les protestants de Bretagne espéraient avoir un lieu de culte à Rennes ou des lieux proches de Rennes puisqu’ils y avaient pratiqué ouvertement leur culte jusqu’au 7 mars 1563 -d’après le pasteur Philippe Le Noir de Crevain dans Histoire ecclésiastique de Bretagne depuis la réformation jusqu'à l’édit de Nantes - ils n’obtiennent alors que les faubourgs de Littré et de Hédé respectivement à 19 et 24 Km de Rennes.
Les décisions du roi sont interprétées. La loi, « chacun peut vivre dans sa propre
maison », a causé des problèmes car cela était alors impossible à prouver. Cette loi est d’ailleurs rapidement remplacée en 1563 par « seuls les estrangers doivent être exclus ».
Mais cette nouvelle loi a elle aussi entrainé des problèmes car il n’y a pas à l’époque de réelle définition pour le mot étranger à cette époque. Du coup le roi est obligé de dire qui est
étranger.
Il y a d’autres exploitations des failles de la loi. Il est autorisé « un temple dans les faubourgs d’une ville par baillage ». Du coup, les Catholiques embauchent des avocats pour
contester les baillages. C’est le gouverneur qui décide des villes attribuées : souvent une ville inconnue et éloignée ou mortifère comme on a put le voir pour Rennes. Ils vont aussi
débaptiser les faubourgs.
Etant donné que le protestantisme est interdit dans les villes portuaires ou frontalières, de nombreuses villes déclarent qu’elles le sont pour ne pas avoir de lieu de culte protestant car ils y sont à ces endroits interdits. Clermont qui n’a pas de port et se déclare ville portuaire en est un exemple. Les temples en centre-ville y sont autorisés aux endroits où les protestants y célébraient leur culte aux moments des édits. Cela est impossible à prouver vu qu’il n’y a pas à l’époque de titre de propriété.
La défaite des protestants est une défaite financière et démoralisante : par exemple, comme on a déjà pu le voir, on les éloigne de leurs lieux de culte.
Il y a nécessité d’épreuve judiciaire pour obtenir justice, importance du droit dans ce cas. Le plaignant ne doit faire référence au religieux, il doit prétendre agir pour le bien commun. Est-ce une victoire ou une manifestation d’hypocrisie? L’hypocrisie permet-elle de vivre ensemble ? C’est la question posée par Jon Elster philosophe et sociologue norvégien spécialiste des sciences sociales notamment dans le chapitre « Strategic Uses of Argument » du livre Barriers to the Negotiated Resolution of Conflict. La réponse reste ambiguë.
Du coup les enjeux religieux passent au second plan.
Paix et guerre ne sont pas opposées, il s’agit de l’étude du continuum, d’une stratégie de violence durant la paix. Se priver de la paix c’est se priver de la dimension socialisante du récit. Avec l’application de cette politique, on peut voir un essoufflement du protestantisme dès 1562 et surtout après la Saint Barthélémy, le 24 août 1572. Cette partie du séminaire est profitable car monsieur Jeremy Foa nous donne une autre vision des guerres de religions qui ne sont plus seulement de grandes batailles épiques mais aussi des batailles psychologiques.