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resistanceetamour

Ceci est le blog d'un documentaliste révolté contre les injustices de notre société.

Non, nous n’avons pas le «droit d’être islamophobe»

Publié le 11 Septembre 2019 par resistanceetamour

Non, nous n’avons pas le «droit d’être islamophobe»

Source en anglais: No, We Don’t Have the “Right to Be Islamophobic”

Par
Emre Ongün

Après qu’un orateur de l’Université d’été de France Insoumise a invoqué le «droit d’être islamophobe», la gauche française est de nouveau en guerre sur le sujet de la laïcité. Mais le véritable problème réside dans l’incapacité de prendre parti pour les victimes du racisme - et de défendre les musulmans contre toute tentative de les stigmatiser.
Pour les partis politiques en France, il est de tradition de tenir une université d’été. Il s’agit de rencontres publiques d’activistes consacrées à des conférences, à des débats et de mobiliser les militants après le retour des vacances.
Pour La France Insoumise (LFI) - la principale organisation de la gauche anti-austérité en France, dont le dirigeant, Jean-Luc Mélenchon, a marqué 19,6% à l'élection présidentielle de 2017 - l'université d'été 2019 aurait donc dû représenter une opportunité se regrouper après le mauvais résultat du concours européen de mai, où son résultat de 6,3% était bien en deçà des attentes.

Mélenchon étant. lui-même parti en tournée en Amérique latine, ce fut également une occasion pour LFI de montrer qu’elle peut se débrouiller seule sans la présence de son candidat à la présidence. Pourtant, les choses ne se sont pas déroulées comme prévu. Pour les partis politiques en France, il est de tradition de posséder une université d’été - ce que les anglophones appellent une université d’été. Il s’agit de rencontres publiques d’activistes consacrées à des conférences, à des débats et à la mobilisation de membres après le retour des vacances. Pour La France Insoumise (LFI) - la principale organisation de la gauche anti-austérité en France, dont le dirigeant, Jean-Luc Mélenchon, a marqué 19,6% à l'élection présidentielle de 2017 - l'université d'été 2019 aurait donc dû représenter une opportunité se regrouper après le mauvais résultat du concours européen de mai, où son résultat de 6,3% était bien en deçà des attentes.

Mélenchon lui-même parti en tournée en Amérique latine, ce fut également une occasion pour LFI de montrer qu’elle peut se débrouiller seule sans la présence de son candidat à la présidence. Pourtant, les choses ne se sont pas déroulées comme prévu. A l'origine de la faute, un problème récurrent de la gauche française: l'islamophobie.

La controverse a été déclenchée par un discours de Henri Peña-Ruiz sur la laïcité - la laïcité française. La déclaration du professeur de philosophie selon laquelle «on a le droit d'être islamophobe» a créé un taulé explosif. Elle a suscité de vives critiques à l'encontre de Peña-Ruiz et du fait qu'il avait été autorisé à prendre la parole lors de l'événement France Insoumise sans contradicteur face à lui.

Peña-Ruiz est un ovni de la politique. Il vient du parti de gauche, le plus grand parti au sein de LFI dont Mélenchon est lui-même membre. Il a néanmoins appelé à voter PCF aux élections européennes. Dans les milieux de la gauche, qui occupent une place centrale dans l’organisation de LFI, il est considéré comme un «spécialiste» de la laïcité.

Ces derniers ont répondu à la controverse en affirmant que les propos de Peña-Ruiz avaient été sortis de leur contexte et ont signalé qu’il s'agissait, selon eux, d'une attaque ciblée, d'une campagne malveillante contre LFI. Cependant, ils ont en même temps rejeté le mot même d'«islamophobie», comme si une telle chose ne pouvait pas exister. Une fois de plus, la gauche française fait preuve de son incapacité à prendre parti sur cette question et à défendre clairement les victimes du racisme.

Une maladie aux racines profondes.

Face à cette controverse, deux points méritent d’être clairs pour mieux comprendre comment elle s’intègre dans le contexte français.

La première est que ce n’est pas seulement un problème avec LFI, mais quelque chose qui traverse toute la gauche française et la gauche radicale. L'adoption de la loi de 2004 sur les symboles religieux dans les écoles, qui visait explicitement les jeunes femmes portant un hijab, a été un tournant décisif. A cette époque, la Ligue Communiste Révolutionnaire (une des principales branches historiques du trotskisme français et ancetre du Nouveau Parti Anticapitaliste) ne s'est pas opposée de front à cette mesure, mais a plutôt soulevé le slogan «Ni le voile, ni le projet de loi". Cela signifiait mettre sur un pied d'égalité une loi discriminatoire avec des pratiques confessionnelles (c'est-à-dire la décision de porter le voile) des utilisateurs des services publics. Tel était le point d'accord, plutôt fragile, entre les membres de la LCR qui ont défendu ce projet de loi (présenté par un gouvernement de droite), ceux qui l'ont rejeté et les indécis. En bref, cela signifiait ne pas soutenir ni s'opposer à la loi anti-foulard.

Lutte Ouvrière (LO), autre force principale de la tradition trotskyste de l'époque, a également soutenu ce projet de loi et maintient encore aujourd'hui une hostilité sans faille à ce que les femmes soient autorisées à porter ce vêtement. Alors que le PCF avait voté majoritairement contre le projet de loi en 2004, il n’a jamais dégagé une position claire sur cette question, préférant même l’esquiver, notamment parce que ses propres rangs comportent des éléments tout aussi résolument hostiles au hijab. Le problème est donc beaucoup plus général que la position des dirigeants de LFI.

La deuxième précision à faire est qu'il ne serait pas juste de qualifier toutes ces organisations de «racistes»,de les mettre sur un pied d'égalité avec En Marche, la droite conservatrice de plus en plus raciste, et l'extrême droite (il existe aussi des différences entre ces dernières forces). Compte tenu de son recul général et du poids accru des jeunes militants, le NPA a, comme nous le verrons, évolué vers des positions plus favorables à l'égalité. LFI est déchiré par de multiples contradictions (comme le PCF) et, malgré sa grande timidité sur ces questions, LO intervient régulièrement pour la défense des sans-papiers (migrants sans papiers). Les Verts (EE-LV) affichent également une position plus ouverte sur ces questions.

Malgré ces réserves, la question demeure: pourquoi la gauche française se déchire-t-elle sur la pertinence du terme «islamophobie», alors même qu'il s'agit de l'une des formes de racisme les plus visibles en France?

Logique inversée.

On pourrait dire que cela est dû en grande partie à une sorte d’effet négatif du rôle d’avant-garde historique de la gauche française. Après tout, elle est l'héritière d'un projet politique puissant issu de la révolution de 1789, qui était non seulement antimonarchiste, mais très largement anticlérical, étant donné que les forces royalistes se sont fondées sur les institutions de l'Église catholique. Cet héritage a coïncidé avec l'émergence du mouvement ouvrier et l'analyse de classe. L’incarnation vivante de cette combinaison était le leader historique du socialisme français avant la Première Guerre mondiale, Jean Jaurès, républicain laique et antimonarchiste devenu socialiste internationaliste, mais assassiné par un nationaliste en raison de son opposition à la guerre imminente.

À travers la dialectique particulière de l’histoire française, c’est par le biais de cet héritage républicain-laïque que l’idéologie bourgeoise a œuvré pour désarmer intellectuellement la gauche française. Plus précisément, elle a pris la forme d'une logique trop simpliste qui considère le rôle de la gauche comme celui de la défense des droits du prolétariat (à des degrés plus ou moins radicaux). D'autre part, son rôle est d'apporter l'âge de raison, par opposition aux superstitions religieuses obscurantistes maintenues par et au profit de la bourgeoisie.

Pourtant, un tel raisonnement ne nous mène pas très loin. Il ne comprend pas comment ces deux questions peuvent ou non aller ensemble, en fonction du contexte politique. Il parle de "réaction de combat". Pourtant il traite de même manière les puissants et les pauvres. A titre d'exemple l'évêque homophobe qui dissimule les scandales au sein de l'Église catholique sera désavoué de la même manière que la famille musulmane dont la fille porte un hijab.

Cet angle mort est devenu plus visible fur à mesure que le prolétariat d'origine immigrée forcément en position d'infériorité - issu des anciennes colonies et protectorats africains - a gagné en poids en France. Concrètement, ce débat s’est concentré sur les femmes portant le hijab. Pour de nombreux militants et représentants politiques, cette pratique est devenue le fer de lance d'une réaction religieuse mondiale. Et, quel que soit le contexte, elle doit être bannie à tout prix.

Ce raisonnement appelle deux types de points de référence. Le premier consiste en de brèves citations décontextualisées de Karl Marx. Sa référence à la religion en tant qu'«opium du peuple» est sans aucun doute le commentaire le plus fervent parmi les militants de gauche, même s'ils ignorent généralement le passage dans son ensemble. Il en va de même pour sa position «le principe de toute critique est la critique de la religion». Écrit par un très jeune Marx (vingt-cinq ans), elle a plus à voir à de la métaphysique que d'une la position à adopter vis-à-vis d'une partie du prolétariat soumise à une oppression spécifique.

Le deuxième point de référence consiste en une inversion de la logique de la loi française de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État. Cette loi, fondamentale pour la culture politique française, visait d’abord à garantir la neutralité de l’État français en ce qui concerne les croyances religieuses, afin de protéger les citoyens de toute ingérence de l’État à un moment où l’Église catholique jouissait d’un grand pouvoir, tant dans l’État que dans l’État. Société élargie. L'inversion a eu lieu lorsque l'obligation de neutralité a été transférée de l'État aux utilisateurs des services publics eux-mêmes (comme dans le cas de la loi de 2004 sur le voile). Henri Peña-Ruiz fut l'un des principaux artisans de gauche de cette inversion.

Cette obligation de neutralité - qui concerne surtout les femmes musulmanes vêtues du hijab - ne s'applique pas que pour les lycéens et les usagers de l'école primaire. Par exemple, dans une autre mesure soutenue par Peña-Ruiz, la même politique s’applique aux femmes accompagnant leurs enfants lors de sorties scolaires (même si elles ne sont pas elles-mêmes des employés de l’État). Cela s'est également produit dans les établissements privés fournissant des services sous-traités au secteur public, et même dans certains espaces publics, par exemple lorsque certains maires ont interdit le port de costumes de bain couvrant le corps et les cheveux.

Ce raisonnement conduit soit au soutien, soit à la passivité envers une loi explicitement discriminatoire, dont l'un des effets est d'empêcher les jeunes femmes d'accéder à l'éducation publique. Cela se traduit par une invocation à saturation de la "liberté de critiquer la religion" et du "droit de blasphème". Telles sont les phrases opposées au terme "islamophobie" par ceux qui y voient une interdiction de toute critique de la religion musulmane. Et ceux qui défendent ce raisonnement ajoutent immédiatement , «nous critiquons toute les religions, mais nous condamnons les actes racistes dirigés contre les musulmans». De tels arguments sont très répandus à la gauche française: Peña-Ruiz n'est qu'une éminente figure qui les défend.

La tête dans les nuages.

Cette argumentation pose deux problèmes. La première est, tout simplement, son refus systématique de reconnaître que «l'islamophobie» ne fait pas référence à l'infaillibilité de la religion musulmane, mais plutôt à un racisme qui cible les musulmans en raison de leur foi (réelle ou supposée).

Le deuxième problème concerne l’ambiguïté radicale des formules «liberté de critiquer la religion» et «droit de blasphémer». Elles continuent de marteler la nécessité d’une telle liberté - que personne dans la gauche radicale ne conteste - sans prendre en compte les utilisations politiques qui en sont faites. Qui formule cette critique et dans quel but? Elles ne tiennent compte ni des positions sociales des croyants ni des opérations politiques déployées par la classe dirigeante.

Dans son discours, Peña-Ruiz compara le «droit à être islamophobe» au droit à être «cathophobe» afin de souligner que ses motivations étaient «universalistes» et non racistes. Mais ici, on revient au même problème: les catholiques ne subissent aucune oppression structurelle en France, mais constituent plutôt une large part de l'élite économique. Le terme «cathophobe» n'existe que dans le langage d'extrême droite. Le problème n’est donc pas qu’une ligne dans la conversation de Peña-Ruiz a été sortie de son contexte, mais bien le contexte lui-même - l’argument totalement dépolitisé qui sous-tend ses revendications.

C’est d’ailleurs l’argument de l’une des principales critiques émises au sein même de France Insoumise: la déclaration des représentants de la LFI au conseil municipal de Saint-Denis:

"Aussi est-on en droit de s’interroger : en quel endroit de l’univers peut-on croiser au détour d’une rue une « religion-pour-elle-même » afin de s’en prendre à elle au calme ? Nul par ailleurs que dans le ciel éthéré des idées. C’est que ce lieu présente des caractéristiques remarquables. Henri Pena-Ruiz et ses amies peuvent y élucubrer-théoriser en toute quiétude à distance de la sordide réalité où pratiquent les islamophobes concrets desquels ils se désolidarisent. Dont acte. Sauf que, de notre point de vue, peu importe en définitive ce que peut être l’islamophobie « en théorie » puisque nous la subissons « en pratique »."

Au-delà de son contenu - qui remet le débat dans le bon sens - cette déclaration était également importante car Saint-Denis, ville ouvrière du nord de Paris comptant une importante population immigrée, est l'une des principales cibles de France Insoumise pour les élections locales de mars 2020.

Depuis la capitulation de la gauche contre la loi anti-hijab en 2004, l’islamophobie a pris une telle ampleur dans le discours général français que peu de militants hostiles à l’utilisation du terme «islamophobie» peuvent ignorer que les personnes considérées comme musulmanes sont victimes de discrimination. Cette contradiction non résolue était toutefois apparente dans la déclaration compliquée de France Insoumise:

"Du fait de sa signification contestée, nous n’utilisons pas le terme « islamophobie » pour désigner et combattre le racisme envers les personnes musulmanes. Mais nous ne disons pas non plus, ni ne défendons l’idée, que nous avons le droit d’être islamophobes.

Nous ne doutons pas qu’il n’y a aucune volonté chez Henri Peña-Ruiz de justifier les attaques inacceptables à l’encontre des personnes de confession musulmane dans notre pays. "

Une autre déclaration publique de personnalités impliquées dans la commission antiraciste de LFI a souligné le grand danger de cette polémique, notant «aujourd'hui, il n'est même pas nécessaire d'admettre ouvertement sa haine des musulmans - il suffit de se poser en tant que défenseur de la laïcité et de la république. Même Marine Le Pen peut en dire autant: quelle aubaine pour les islamophobes! »

Jordan Bardella - un eurodéputé du rassemblement national de Marine Le Pen - a sauté sur la question et a cherché à légitimer son projet raciste en suggérant que les analyses de son parti et de LFI se chevauchent. Même avant cela, le ministre de l'Éducation de Macron - confronté au mécontentement généralisé des enseignants et des parents au début de l'année scolaire - a lui-même décidé de faire un ballon d’essai islamophobe. Il a affirmé que le nombre moins élevé de filles fréquentant l'école primaire était dû à l'influence de l'islam radical en France, bien que toutes les données démographiques fassent un non-sens de son propos.

Ce dernier épisode souligne que la gauche anti-austéritaire, au-delà de la France Insoumise, a besoin de s'attaquer à la question de l'islamophobie - non seulement pour en débattre, mais pour s'y opposer sans broncher. Le soutien unanime du parti travailliste britannique au discours émouvant prononcé par son député Tan Singh Dhesi (de confession sikhe) à la Chambre des communes, à l'instar du soutien dont Ilhan Omar a bénéficié à la gauche socialiste américaine, devrait leur donner matière à réflexion. Sinon, tout projet d'union des classes populaires en France contre la menace fasciste et l'offensive capitaliste s'accélérant sous Macron restera lettre morte. Mais à moins que nous ne luttions - de toute urgence - contre l’islamophobie, les idéologues bourgeois n’auront pas de mal à l’utiliser pour perdurer.

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J
Je suis islamophobe, et on a le droit de l'être. Car à contrario, on n'aurait pas le droit de critique de l'islam, on n'aurait pas de droit de ne pas l'aimer, on devrait le considèrer comme sacré.
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