Le pompier marine au casque rouge était ferme. "Bien, nous fermons le bâtiment" a-t-il dit aux familles inquiètes réunies autour de lui.
Confus et effrayés, ils montèrent l'escalier sombre et branlant de leur immeuble de la rue Jean Roque, passant le long de cloisons de plâtres détériorées laissant apparaitre de larges fissures, parfois assez grandes pour y insérer un bras. Sur ordre du pompier, ils ont rassemblés leurs affaires puis sont partis pour la dernière fois.
Ces immeubles de cinq étages, aux appartements décrépis, ont été longtemps ignorés par les officiels de la ville alors qu'ils étaient pourtant profondément dangereux. Les dirigeants de la ville de Marseille, aujourd'hui sur la défensive pour avoir longtemps ignorés les alertes des experts, ont été conduit à répondre au tollé général après que deux immeubles se soient effondrés ce mois, tuant huit personnes.
A bout de nerf, ces élus ont depuis évacué 1,054 personnes qui proviennent de 111 immeubles en ruine dans le cœur de cet ancien port méditerranéen misérable. Mais un rapport écrit en 2015 pour le Ministère du Logement a trouvé que 40,000 habitats dans Marseille étaient insalubres - soit 10% de tous les immeubles insalubres de France - et affectent 100,000 habitants de la ville.
À Marseille, la crise du logement n’est que le symptôme le plus criant d’une pauvreté chronique. Plus du quart de la population est officiellement pauvre, alors que c’est la deuxième ville de France, parmi les plus importantes d’Europe.
Beaucoup se demandent pourquoi les responsables ont mis si longtemps à agir au vu des terribles conditions de vie, de la persistance de la pauvreté à Marseille et de ce qu'elle signifie à propos de l'autre France, en partie immigrée et pauvre. Son déclin a précédé le tournant pro-bussiness du Président Emmanuel Macron, il menace encore plus leur survie.
Tandis que la ville a investi des millions pour les équipements sportifs et pour des musées époustouflants pour les touristes, peu d’argent est allé à la rénovation de centaines d’immeubles du centre-ville, certains datant du 18ème siècle, voire d’avant, abritant les pauvres. Les inspections ont été aléatoires et superficielles, les rapports alarmants ignorés et les investissement des autorités insuffisants.
Malgré la découverte du rapport de 2015 qui affirmait que 40,000 logements étaient dangereux, seule une petite partie a été officiellement désignée comme insalubres par la Mairie en 2016, selon un groupe d'activistes.
Le 18 octobre, deux semaines et demie avant l’effondrement des bâtiments de la rue d’Aubagne, un expert envoyé par la ville a déclaré le premier étage du 65 dangereux mais pas le reste de l'immeuble.
Ceux qui ont été tués - dont une mère immigrante de huit ans, un étudiant, un peintre, un migrant africain sans papiers et sans emploi - ont reflété le fossé qui sépare ceux qui ont un logement, de l'eau potable, de l'éducation et des opportunités d'emploi, et les autres , même dans un pays doté d’un large filet de protection sociale.
En réponse, des milliers de personnes ont envahi les rues de la ville pour protester contre la négligence présumée des autorités.
"Gaudin Assassin!", Ont-ils crié mercredi soir, faisant référence au puissant maire de la ville, Jean-Claude Gaudin. «La justice populaire te condamnera!», ont-ils crié, fort de 10 000 personnes, lors d’une marche bruyante vers le bâtiment de l’hôtel de ville baroque en face du port
«Nous n’avons aucune faute particulière à nous reprocher », a déclaré M. Gaudin aux médias locaux après l'une des manifestations. Mais la réponse des responsables de la ville a été chiche.
Le peuple de Marseille, autant les bien habillés que les déguenillés, se rendent jour après jour devant un mémorial improvisé de fleurs et de bougies érigé à proximité du lieu de la catastrophe. Il est écrit sur le mur : "Ce n’était pas la pluie!" - une référence ironique à une explication initiale de la mairie, qui est déjà une icône de la manifestation
«Qui est mort là-bas?», déclare Rabah Ramdani, un commerçant venu rendre hommage : “Seulement les pauvres, Et ce n’est pas fini ». Dans la longue et étroite rue Jean Roque, ombragée par le soleil d'automne, Bintou Cissé se tient à l'extérieur de son petit magasin de retouches au coin des immeubles effondrés, refusant de pénétrer à l'intérieur."Parce que j'ai peur", dit-elle. «Tout est pourri ici. Ce n’est rien que des taudis ». «Vous pouvez le voir », a-t-elle ajouté, levant les yeux vers les fissures de la façade.
Dans les vieux bâtiments délabrés du centre-ville, à Noailles et ses environs, où vivent les pauvres, la peur a pris le dessus. Les enfants disent qu'ils ont peur de rentrer chez eux après l'école, les mères courage disent qu'elles se réveillent la nuit à la moindre vibration, les étudiants dorment ailleurs.
«Jusqu’à présent, nous avions honte d’amener des gens ici», déclare Laura Spica, une musicienne qui vit dans la rue. "Maintenant, non seulement on a honte, mais on a peur."
Ville pastelle étincellante, Marseille est une concentration de pathologies urbaines postindustrielles de la France : "une sorte de Detroit français" selon le sociologue Michel Peraldi.
Cette ville ne s’est jamais remise des doubles coups de la désindustrialisation et de la décolonisation déclare M. Peraldi. Les industries qui transformaient des matériaux brut n'existent plus, pas plus que liens étroits avec les colonies qui les approvisionnaient autrefois. Aujourd’hui, le plus gros employeur est l’hôpital public.Le taux de chômage est près de 50% supérieur à la moyenne nationale. Les immigrants d’Afrique du Nord sont arrivés par vagues depuis les années 1950.
M. Peraldi: "Il y a trois générations de chômeurs". "Il n'y a jamais eu de politique claire pour réintégrer ces classes dans la société."
Parmi les deux immeubles qui se sont effondrés rue d’Aubagne, le n ° 63, vacant, avait été racheté par la ville. Il a été muré et il lui manquait une partie de son toit. Certains pensent que cet immeuble soutenait le numéro 65, fragile et habité, et que son effondrement a entrainé la chute du 65, comme un château de cartes.
"Ce que cela a révélé est un état de décadence totale, ainsi que l’insouciance des élus", déclare Patrick Lacoste, responsable de Centre Ville Pour Tous, un groupe de militants.
"C'est une catastrophe politique", ajoute M. Lacoste, "car depuis 23 ans, la mairie laisse pourrir le quartier".
Entrez dans n’importe quel bâtiment du quartier de Noaïlles, au hasard, et les escaliers s’inclinent légèrement. Il vaut mieux tenir la rampe.
«Quand le voisin monte les escaliers, tout l’immeuble est secoué», déclare Khedidja Dhamani, une femme d’âge moyen vivant dans la rue d’Aubagne, à proximité des bâtiments effondrés.
Une grande partie du plâtre des plafonds est tombée, les vieilles poutres en bois sont souvent visibles et pourries. Dans la cuisine de Mme Dhamani, l’eau du bain du voisin s’écoule à travers une large fissure.
Partout ailleurs à Noaïlles, légendaire ventre commercial de Marseille, il est courant de voir les escaliers soutenus par des poutres rouillées. Stephanie Rose, une jeune mère de deux enfants, leur demande de porter des chaussures de tennis quand il pleut; l'eau arrive directement dans l'appartement.
Non loin de là, rue de l’Arc, la voisine du rez-de-chaussée de Saida Ouaheb lui demande de ne pas utiliser sa machine à laver, car elle fait trembler le plafond. Les trois jeunes filles de Mme Ouaheb ont maintenant peur d’être dans leur petit appartement de deux chambres. Un jour cette semaine, sa fille de 9 ans a refusé de quitter l’école.
«Nous ne dormons pas bien ici», déclare Mme Ouaheb, qui travaille comme femme de ménage dans un restaurant. Son loyer mensuel de 640 euros est fortement subventionné par l’État.
Son mari marocain ne parle pas français, n’a pas les bons papiers, et ne travaille pas. "Depuis lundi, j'ai peur", dit-elle. "Je voudrais partir."
Lors des marches de protestation de la semaine, les immigrés vivant dans les taudis du centre-ville étaient largement surpassés en nombre par les résidants marseillais blancs et bourgeois, qui n’étaient pas pour la plupart affectés par les mauvaises conditions de logement. Beaucoup exprimaient néanmoins leur honte devant cette catastrophe meurtrière.
«C’est incroyable qu’une telle chose ait-pu se produire ici, en France», déclare Elise Sut, une musicienne qui a participé à la marche.
Traduction: Erik Bacostel