Je ne comptais pas écrire avant le 10 février mais suite à la publication des chiffres du chômage d’hier je me suis dit (oui je me parle à moi-même) : « tiens et si je faisais un billet pour vous désintoxiquer de l’inversion de la baisse du chômage ».
Inverser la courbe du chômage! Voilà un beau sujet avec lequel on peut enfumer tout le monde en partant dans de graaaaandes batailles techniques, menées pour que vous n’y compreniez rien et que le champ du débat soit laissé aux politiciens.
Première observation : le nombre de chômeurs a progressé sur l’année, le pourcentage de chômeurs aussi. Ce n’est ni bon pour les chômeurs, ni pour le pari de François. Cependant on peut transformer le négatif en positif avec deux astuces: le point de base et la tangente. Ça vous parle? Non? Rassurez-vous, c’est fait pour.
Le point de base, c'est le moment que vous choisissez pour démarrer votre courbe statistique, la "base 100".
La tangente c'est la dynamique d'accélération ou de décélération de la courbe précédente. La question est : « le pourcentage de chômeurs croît-il plus ou moins vite que le mois précédent ? »
Si vous êtes socialiste solférinien et que vous voulez démontrer que c’est mieux sous François Hollande que sous Nicolas Sarkozy, mettez le point de base en 2007. La courbe montrera que le chômage baissait, puis a explosé sous Sarkozy et que la tendance a baissé sous François Hollande. Si, si, c'est vrai. François a gagné, youpie ! Il y a eu baisse du taux de hausse du chômage et après tout quand Hollande a parlé d’inversion de la courbe du chômage, il n’a jamais précisé de quelle courbe il parlait.
Le problème de la méthode, c’est que vous pouvez démontrer n’importe quoi. Si vous voulez démontrer que François est en échec, prenez une base 100 en 2012 et exprimez la courbe en nombre: ça montrera qu'il y a 12,36 % d'augmentation du chômage depuis l'élection de François Hollande. Si vous êtes sarkozyste, vous pouvez même vous amuser à mettre la base 100 au premier trimestre de 2011, lors du bref rebond économique et dire que c'est pire que hier puisque la tangente a progressé et qu’il faut voter Sarkozy en 2017. Si c’est votre cas, comme vous êtes de droite, j’ai mis la tangente en noir pour que vous compreniez mieux. C’est un peu ce que fait le journal Les Echos en disant que le chômage a plus augmenté durant l’année 2013 qu’en 2010 et 2011 « dernières années complètes du quinquennat Sarkozy ».
Une autre astuce pour montrer que l’inversion a eu lieu est de « lisser » la courbe en faisant une moyenne par trimestre. Cela va permettre au ministère du travail de dire que « l’année 2013 été marquée par un net mouvement d’amélioration » et ce, alors qu’il n’est pas arrivé à enclencher une baisse durable du chômage sur deux mois consécutifs. Cet artifice permet de distribuer des éléments de langage tels que « tu vois la pente s'adoucit » ou de parler de « quasi stabilisation ».
Une autre astuce peut être de changer la façon de compter en gardant apparemment le même indicateur. On peut par exemple augmenter le taux de radiation. Un autre moyen de faire baisser artificiellement les chiffres du chômage est de réaffecter certains demandeurs d’emploi de catégorie A dans d’autres catégories. Ces manipulations statistiques ont déjà été dénoncées par Michel Husson, Stéphane Guillou, Tristan Poullaouec et Michel Feher en 2009. Ce n’est pas parce que « la gauche » est au pouvoir qu’il faut s’en réjouir.
Faire des jeunes une priorité.
Pour cela il faut considérer les jeunes comme une espèce en voie de disparition plus menacée que les autres et pour laquelle il faudrait donc des « mesures spécifiques » tels les emplois jeunes. Il faut sauver la « catégorie jeunes ». A cela s’ajoute des mensonges démographiques tels que « un jeune sur quatre est au chômage ». Tout cet argumentaire pro-jeune est très piégeant. Même l’auteur de ce blog se fait avoir quand il dit à un socialiste (qui se reconnaîtra) « vous fixez l’âge de la retraite à 67 ans et pendant ce temps-là les jeunes sont au chômage », alors qu’il y a beaucoup d’autres arguments, plus pertinents, pour défendre nos retraites.
Cet argumentaire pro-jeune qui fait des jeunes une catégorie particulière permet au ministère du travail de dire : « Il y a désormais moins de jeunes au chômage qu’au début de l’année 2013.
C’est un résultat très significatif, fruit d’une intense mobilisation pour l’emploi des jeunes depuis 20 mois, qu’illustre bien un programme comme les emplois d’avenir. »
Cet argumentaire qui fait des jeunes une catégorie spécifique est détruit par la vidéo ci-dessous. Personne ne conteste le fait que 25% des jeunes ACTIFS soient au chômage, c’est beaucoup, mais ce taux n’est pas spécifique, c’est le taux de l’emploi non qualifié. Or ce sont « les jeunes » qui servent aujourd’hui de main d’œuvre non qualifiée.
(certaines vidéos proposées à la fin par Youtube ne sont pas intéressantes, à vous de les reconnaître)
Puisque nous entrons dans la guerre de chiffres, je peux vous affirmer que ça fait vingt ans que la France diminue les cotisations sociales des entreprises et pourtant le chômage n’a fait qu’augmenter. Ce qui prouve donc que vos théories Raffariniennes ne riment à rien à part pour le grand patronat exportateur. Même Carole Couvert (la communiste rouge de la CFE-CGC qui a l’habitude de tout signer) a dit à propos du pacte de responsabilité «C’est le jeu de la surenchère, c’est « à votre bon coeur, messieurs dames »». Ça c’est un élément politique. Les débats pour savoir si la courbe (laquelle ?) s’est inversée ou non sont puérils. Le chômage a atteint un nouveau record en 2013 et c’est bien ça que les chômeurs retiendront
Merci à @sknob de babordages.fr pour le graphique qui montre que baisser les cotisations sociales n'a jamais fait monter l'emploi et l’image (ci-dessus) que l’on m’a permis d’utiliser.